mardi 16 octobre 2012

Letter from an unknown woman



Lettre d'une inconnue est un de mes films préférés, pour la richesse de sa composition et la photographie du film en noir et blanc (très inspirante, notamment avec les divers éclairages) autant que pour l' oeuvre de Stefan Zweig à l'origine de ce long métrage.


Le thème central du film de Max Ophüls est le temps, matérialisé par nombre de motifs récurrents, le plus souvent circulaires. Les scènes de début et de fin par exemple sont identiques, montrant ainsi que la boucle est fermée et le héros se dirige vers son destin funeste et inéluctable. La virginité et la vacuité du moment présent tant espéré, déjà perdu lorsqu'il se réalise, est le leitmotiv du film. Le temps glisse entre les doigts des personnages et rien ne peut l'arrêter. Seule la tristesse ou la mort est au bout de ce chemin temporel et la répétition des "two weeks" est la mélodie rappelant que la séparation est au bout du chemin.

Le réalisateur choisit volontairement de filmer ses personnages en retrait, et ne réalise qu'un gros plan sur tout le film. Pour Ophuls, la vie est un théâtre (on aperçoit souvent des rideaux qui viennent "rétrécir" l'écran, nous font entrer dans l'intimité des personnages, montrant ainsi la vie comme une pièce de théâtre, où finalement, tout est joué d'avance. La fin est toujours la même, on ne peut y échapper, comme dans une "machine infernale" où rien ne peut contrer la décision des Parques) , les gros plans signifiant forcément quelque chose de négatif. Dans le film, le seul gros plan est réalisé sur Louis Jourdan lorsqu'il s'aperçoit de la présence de cette femme au théâtre, synonyme de vide. Le personnage n'est plus que l'ombre de lui-même, usé par sa vie de dandy de naguère. La musique et surtout le bruit, la "bande-son du décor" sont également des éléments importants, renforçant ce côté théâtral (et pourtant réel) de la vie, et pleins de symbolismes; notamment avec les fréquentes références à Beethoven, Mozart et Wagner (statues de Beethoven à différentes reprises entre les deux personnages, musique de Wagner jouée par les musiciens dans une scène de dérision, Mozart repris en thème musical à différentes reprises...On perçoit clairement les préférences de l'auteur à ce niveau d'ailleurs.)

Le maître d'hôtel muet de Stefan est le spectateur de toute la scène. Bien que muet, il semble être un personnage omniscient, reconnaissant à chaque reprise cette personne, jamais la même pour Stefan et semblant tout connaître de sa vie ou du moins, de ses aspirations secrètes. Le comportement "habituel" de Stefan, par opposition à l'idolâtrie dont fait preuve la jeune femme depuis son adolescence pour cet homme (et que nous suivons malgré nous), rend ce dernier pathétique et la dernière scène entre les deux personnages d'autant plus triste. Bien que sa vie ait été remplie (de femmes), il est désormais seul avec lui-même et rien ne peut combler le vide de son existence, pas même la musique.


Dans le livre, le personnage est écrivain alors qu'ici Ophüls a délibérément choisi d'en faire un pianiste de renom. Max Ophüls, par ce film, montre la descente de l'artiste aux enfers. Alors au sommet de sa gloire, Stefan s'égare et seule cette (ces) femme(s) semblent à chaque fois le connaître mieux que lui-même, et incarner son génie disparu. Peut-être cela matérialise-t-il les propres doutes de l'auteur sur la création et la réalisation artistique, toujours est-il que le personnage du film rencontre un obstacle qu'il ne surmontera pas.

Les obstacles sont des outils souvent utilisés par Ophüls, autant pour montrer un peu de dérision que pour matérialiser le fourmillement de la vie. La caméra d'Ophüls est fluide et semble imprimer le mouvement. Chaque scène "remplie" se voit ensuite répondre par la même scène totalement vide, le personnage comme perdu dans cet espace qu'il ne peut combler.

Dés(enchantement)
Ce film représente à la fois l'émerveillement (l'enthousiasme et l'envol pourrait-on dire) de la jeune fille vierge et naïve -souvent située en contre-plongée, de bas en haut, comme une servante devant son dieu- (face à la musique du jeune homme, à son allure, à son "sanctuaire", à l'amour aussi - il s'agit avant tout de l'histoire d'une passion secrète, obsessionnelle) jusqu'à son complet désenchantement (lorsque Lisa observe Stefan d'en haut de l'escalier en colimaçon, artiste revenant à son appartement avec une conquête d'une nuit; A la toute fin, lorsque Stefan répond à côté des répliques de Lisa, pas du tout sur la même longueur d'ondes, il ne la "reconnaît" pas)


Le temps, le vide, la mort et l'impuissance de l'Homme face à cela.
Finalement, l'impuissance face à sa propre bêtise, à sa propre ignorance le fait aboutir sur un constat d'échec, menant irrémédiablement à la mort. A quoi ont servi toutes ces histoires, toute cette jeunesse, s'il a été aveugle jusqu'au bout? L'histoire racontée par cette femme par le biais de cette lettre posthume est l'histoire d'un véritable idéal, d'une véritable passion, gâchée par la petitesse, l'étroitesse de l'existence humaine, et peut-être par la nature humaine elle-même.
Cependant, la passion et l'idolâtrie de cette femme, qui ont rempli sa vie, étaient sans doute tout aussi vaines.
Là est peut-être toute la tragédie de l'histoire finalement. Et le parti pris du réalisateur de ne filmer qu'en "plan éloigné des personnages" en est peut-être révélateur. Faire un gros plan sur un personnage ne peut finalement que montrer ses défauts, ses imperfections, sa laideur, aussi "séduisant" soit le personnage. Ainsi en va-t-il de la nature humaine.





Conclusion finale
Alors qu'on (journalistes, psychanalystes, psychologues...etc) cherche encore aujourd'hui à expliciter tel ou tel succès, en en décomposant chaque scène, chaque geste, chaque objet, et en l'interprétant de la manière la plus farfelue qu'il soit -sans que rien ne soit forcément prémédité! - j'ai aimé retrouver dans ce film la sensation d'une maîtrise complète de la réalisation, quand bien même certains "mécanismes" du réalisateur, certaines préférences pour tel ou tel cadrage, répétition..etc, sont utilisés et reproduits à l'excès. On ressent une grande maîtrise de son art avec ces choix qui ne peuvent être que délibérés au vu de l'ensemble cohérent de l'oeuvre du réalisateur. Au contraire de tous ces succès "miraculeux" d'aujourd'hui (et aux choix de départ souvent arbitraires) qui cherchent à être expliqués de mille façons et ne montrent pourtant aucune cohérence ou si peu.